Mom’s back home, une riposte au système Kafala

Mom’s back home, une riposte au système Kafala
©Nadia_Vossen

Samedi midi, et une notification WhatsApp disant « le premier groupe est arrivé » ? Lillie accueille chaque semaine des femmes malgaches, arrivées au Liban sous le système Kafala, comme elle, pour des ateliers coutures.

Ces moments de rassemblement sont précieux et rare dans la capitale libanaise. Le système Kafala est une forme d’esclavagisme moderne, enfermant les travailleuses sans la moindre protection. Leur vie au Liban dépend du bon vouloir de leurs employeur·euses, aucune loi ne les protège ou n’encadre leur travail malgré la signature d’un contrat entre la travailleuse et la famille qui l’emploi.

Leur présence légale sur le territoire est « sponsorisé » par la personne qui les emploie. Sans garant, une travailleuse du système Kafala se retrouve sans papiers et devient  une proie à d'avantage de violences et abus. Ces femmes souvent venues d’Afrique ou d’Asie du Sud Est s’organisent et se mobilisent pour améliorer leurs conditions de vie.

« Je veux que ces femmes repartent à Madagascar avec des connaissances, en ayant appris quelque chose. Le but c’est qu’elles rentrent en disant maintenant je peux faire telle ou telle chose. » Installée au Liban depuis 15 ans, Lillie a vécu la violence mais aussi la solidarité. Ancienne professeur de français, elle a été choisie par la famille pour sa capacité à aider les enfants dans leur scolarité en plus de prendre soin du foyer. Sans possibilité de sortir seule de la maison, son premier contact avec d’autres travailleuses se déroule depuis la balcon. Elle entend quelqu’un parler le malgache et entame une discussion avec elle. Au cours de l’échange elle prend connaissance d’un groupe d’entraide entre travailleuses malgaches mais le refus de son employeur de lui octroyer un jour de congé ne lui permet pas de s’y rendre.

Alors la fuite est préparée, organisée afin de ne pas être démasquée. C’est en descendant des poubelles, en cachant quelques affaires dans un sac poubelle, qu’elle part. Fuir c’est aussi se retrouver sans papiers, et sans aucune aide ni salaire. Grâce à la solidarité entre travailleuses Lillie finit par trouver un logement et des heures de ménages. Au cours des quinze années passées dans le pays, elle déménage plusieurs fois, développe un réseau et met en place différents types d'ateliers avec l'aide d'ONG internationales.

Lillie devient une référence au niveau de la communauté malgache. D'une part elle est le point de contact pour les travailleuses malgaches et d’autre part elle est également la référente pour les ONG. Lors de la crise du coronavirus en 2020, des initiatives ont été mises en place pour aider les travailleuses du système Kafala. Pour que cette aide puisse leur être acheminée, les différentes associations ont compté sur les "community leaders" ce que Lillie est pour la communauté malgache.

"Mom's back home", une lutte et un espoir

En 2023, Lillie fonde cette initiative "Mom's back home" ou "maman est revenue à la maison" en français. Ce nom est porteur d'un message symbolique, le combat est long pour que les travailleuses puissent retourner chez elle avec non seulement leurs expériences de travail mais également des compétences développées au Liban. Ces femmes qui viennent travailler au Liban parviennent à subvenir aux besoins de leur famille et à entamer, et parfois terminer, la construction d'une maison dans leur pays. "Le problème c'est que celles qui sont venues ici, elles ne repartent pas avec de l'argent liquide, elles n’ont pas d'économies. Alors après 10 ans, 15 ans ou 20 ans au Liban, qu'est-ce qu'elles vont faire à leur retour? Moi je veux les préparer à cela. Le but c'est qu'elles ne dépendent pas des autres mais qu'elles puissent gagner de l'argent pour subvenir à leurs besoins lorsqu'elles retournent au pays." pointe Lillie.

Le groupe, organisé par des travailleuses pour les travailleuses, a débuté avec des ateliers de couture organisé par Lillie. Les financements trouvés permettent d'organiser un certain nombre d'ateliers pour un nombre limité de femmes. Depuis, Lillie s'est entouré de 6 autres travailleuses pour mener à bien ce projet d'envergure. L'aspect financier est toujours la partie la plus compliquée. Le matériel de couture et un lieu pour mener à bien le projet sont des coûts qu'il faut arriver à couvrir. La recherche de financements est un travail qui prend du temps et que Lillie et l'équipe qui l'entoure doivent réitérer période après période.

Cyssie, Lillie et Barbara attendant le deuxième groupe de travailleuses. ©Nadia_Vossen

 

"Mon travail entre mes mains"

Ce combat se situe dans la continuité de la lutte pour les droits et la dignité des travailleuses du système Kafala au Liban. Débarquées dans un pays qui ne les protège pas, pire, permet les violences psychiques, physiques et sexuelles à leur encontre elles ont, pour leur survie, dû se mobiliser.

L'adage de Lillie est le même depuis toujours " "mon travail entre mes mains". Nous, nous avons besoin de travailler mais les gens pour qui nous travaillons on aussi besoin de nous. C'est une relation d'interdépendance, dans laquelle il ne faut pas se laisser écraser." Dans cette optique, Lillie veut pousser davantage ses collègues à poser des limites et comprendre qu'il est important de ne pas brader leur force de travail.